L’école,
ce ghetto
Les chiffres ne mentent pas. Les
cas de violences, subis ou
occasionnés en milieu scolaire
augmentent. Des parents
d'élèves d'une commune
algérienne ont réagi, constatant
que leurs enfants font face à ce
phénomène, sans défense et,
surtout, sans que personne ne
s'en inquiète vraiment. Les
enseignants, eux, désabusés,
mal formés pour affronter ce
genre de situations, ont plutôt
tendance à baisser les bras.
Certains avouent avoir peur. On
peut facilement imaginer que
l'exemple de cette commune est
facilement “extrapolable” à
l'ensemble des villes
algériennes. Côté tutelle, on
relativise les choses. L'école
algérienne ne «produit» pas de
violence, mais la subit, d'où la
nécessité de la protéger. A en
croire les déclarations et
témoignages recueillis, la réalité
est plus complexe. Le pays a
vécu des moments difficiles. La
situation socioéconomique,
l'éclatement de la famille, les
nouveaux comportements
engendrés par les NTIC, sont
autant de facteurs qui
expliqueraient en partie ce
phénomène et son
développement. Une chose est
certaine, s’il n'est pas déjà trop
tard, des actions sont encore
possibles. Le projet de la mise
en place de plus de dix mille
conseillers pédagogiques, dont
la mission serait de protéger
l'école des violences externes,
est plus que jamais d’actualité.
La responsabilité des parents et
celle de l'ensemble de la société
sont plus que jamais engagées.
Nos écoles se «ghettoisent»…
Attention, danger
Violence en milieu scolaire
Ouled Yaïch, exemple
«stupéfiant» d’une
commune algérienne
L’Association des parents d’élèves de
la commune de Ouled Yaïch a organisé,
hier, une journnée de sensibilisation
sur les dangers en milieu
scolaire. Elle a travaillé en collaboration avec
les services de la Gendarmerie nationale et
une équipe de psychologues, spécialisés
notamment sur les questions de l’éducation et
du comportement de l’enfant dans les écoles.
Premier constat : aucun palier n’est épargné
par le phénomène de la violence. Le primaire,
le moyen comme le secondaire sont
touchés par ce fléau, même si, comme l’ont
indiqué les intervenants, les classes de l’enseignement
moyen et secondaire, sont les plus
impactées. Deuxième constat : cette violence
n’est plus le fait des seuls élèves, les enseignents
sont aussi impliqués. Elle est en hausse
depuis 2001 et a connu un pic entre 2006 et
2007, période à laquelle le ministère de
l'Education nationale a recensé plus de
59 000 cas.
12 000 d’entre eux se rapportent à des violences
physiques et à des dégradations matérielles.
342 cas sont relatifs à la possession
d'armes blanches dans les trois cycles scolaires.
«On entend tous les jours parler d'un élève
qui frappe son enseignant. C'est un fléau qui
touche pratiquement tous les établissements
scolaires d’Algérie», a indiqué, à ce sujet,
M. Mustapha Benkaci, coordinateur de
l'Association. Quelles en sont les raisons ?
Selon les services de la Gendarmerie nationale,
plusieurs facteurs sont à prendre en
considération. En premier lieu, l'irresponsabilité
des parents, mais également les mauvaises
fréquentations qui conduisent bien souvent
l'adolescent à la drogue et à son implication
dans des délits divers,tels que les vols et la violence
envers autrui. «Durant les cinq premiers
mois de l'année 2010, les services de la
Gendarmerie nationale ont interpellé quelque
854 mineurs impliqués dans plusieurs affaires
de crimes», a déclaré, à ce propos, hier le lieutenant
Sihem Abrous. Selon cet officier, la
Gendarmerie nationale a également enregistré
durant le premier trimestre de l'année 727 cas
d’agression contre des mineurs, victimes de
différentes formes de violence, dont des abus
sexuels. Devant ces chiffres effrayants, M.
Kamel Boucharef, sociologue, a déclaré, peu
après la projection d’un document vidéo des
services de la Gendarmerie nationale, que les
causes de la violence chez et contre l'adolescent
sont «liées à des considérations d'ordres
économique et social». Un avis partagé par
plusieurs enseignants et psychologues du lycée
technique Ouali Mahfoud de Blida, qui ont
estimé que «les élèves violents souffrent bien
souvent du manque de communication au
sein de leur famille… Ils ne sont tout simplement
pas écoutés par leurs parents», a-t-on
entendu dire. En prenant la parole, une psychologue
exerçant dans cet établissement a
souligné que «la violence dont il est question
est un indice de la qualité de l'environnement
humain. La violence provient, à chaque fois,
de comportements et de réactions piétinant
les droits et l'intégrité d'autrui. Elle apparaît
comme le baromètre des rapports humains
dans une société». Pour sa part, une enseignante
a, encore une fois, pointé la responsabilité
des parents. «Il y a dix ans, lors d'un
contrôle médical ordinaire, nous avons
constaté dans ce lycée que bon nombre de garçons
étaient surexcités et avaient les yeux rougis.
Après les analyses, nous avons constaté
qu’ils consommaient, et de manière régulière,
de la drogue. L’usage de stupéfiants était à
l'origine de leur comportement violent vis-àvis
de leur professeur et camarades», a-t-elle
relaté.
D’autres intervenants, abondant dans le
même sens que cette enseignante, ont, à travers
leur témoignage, fait état de la recrudescence
de cas de racket et de vol en milieu scolaire.
Hasna Zobiri
« Les parents démissionnent, les enseignants ont peur »
Algérie News : La violence en milieu scolaire prend des proportions
alarmantes, qui en est responsable ?
Lynda Toumi : La violence en milieu scolaire relève de la
responsabilité de tous, aussi bien des enseignants, des pédagogues
que des parents. Malheureusement, personne n'assume
ses responsabilités. De nos jours, les parents sont complètement
démissionnaires et ne sont pas à l'écoute de leurs
enfants. Les enseignants, quant à eux, ne veulent plus être
impliqués et rejettent la responsabilité sur les parents. Ils ont
tout simplement peur de l'élève puisque plusieurs d'entre eux
ont été victimes de violences et de menaces par leurs élèves.
Quant aux pédagogues et psychologues, ils sont très rares
dans les établissements scolaires. L'enfant se retrouve seul et
sans repères sociaux.
Selon la Gendarmerie nationale, la consommation de drogue
est l’une des causes étant à l'origine de la violence en
milieu scolaire. Avez-vous pris des mesures pour lutter
contre ce fléau ?
C'est au ministère de l'Education nationale de prendre des
mesures, particulièrement celles d’ordre sécuritaire. Moimême
qui suis enseignante depuis 18 longues années, j'ai
aperçu, à maintes reprises, des dealers vendre leur produit
près des établissements scolaires, notamment moyen et
secondaire. Une drogue qui commercialisée au vu et au su de
tout le monde. Aujourd'hui, il est donc nécessaire et urgent
de recruter des agents chargés de sécuriser les alentours des
établissements d’enseignement.
Quelles sont les conséquences de ce phénomène ?
Si l'enfant n'est pas pris en charge à temps, il risque de
fuguer et, probablement, finir en prison, ce qui aura, bien
évidemment, des conséquences sur ses résultats scolaires. On
voit de plus en plus d’élèves distraits dans les classes, sans
doute un signe de profond malaise.
Propos recueillis par H. Z.
Des études confirment la « gravité » du fléau
La stratégie nationale de lutte
contre la violence scolaire
tarde à voir le jour
Dans son discoure d'allocution,
Boubekeur Benbouzid avait
affirmé que « l'école algé-rienne
ne produisait pas de la violence,
mais qu'elle en était victime ». Pour lui, le
milieu scolaire n'est pas seul responsable
des comportements violents qui tendent à
se répéter à un rythme inquiétant dans les
établissements d'enseignement. Pour faire
face au phénomène, il reconnaît que l'école
devait assumer «un rôle naturel» , tout en
précisant que cette lutte se ferait « avec les
moyens de l'école».
A l'époque, le ministère avait évoqué
« une stratégie nationale « non encore finalisée
». Plus d'une année plus tard, ladite
stratégie n'a pas encore été dévoilée. Le
même jour, Benbouzid avait annoncé le
recrutement de 10 000 «accompagnateurs
pédagogiques», qui seront chargés d'assurer
la sécurité des élèves dans et autour des
établissements scolaires. Il est attendu, à
travers cette mesure, de voir les élèves éloignés
des sources de violence qui les guettent
à tout moment. L'idée de sécuriser
l'environnement de l'élève est née à la suite
du constat établi selon lequel l'école subit la
violence sociale. La feuille de route de la
prévention, élaborée par les services du
ministère de l'Education nationale, compte
renforcer le programme scolaire par un
contenu principalement à vocation
citoyenne.
Benbouzid avait souligné également la
nécessité d'associer les parents dans le vécu
quotidien de leurs enfants. Le ministre a
cependant évoqué quelques facteurs générateurs
de violence. Il a cité, pêle-mêle, le
non-respect de la règlementation, la surcharge
des classes, ainsi que la perception
que se font aussi bien les élèves que les
enseignants des actes de violence au sein de
l'école.
En 2005, une étude menée par le
CREAD, en collaboration avec l'UNICEF
avait rendu ses conclusions à l'occasion
d'un colloque international à Alger.
Certains résultats révèlent :
>«Presque la moitié des élèves questionnés
notent des faits de victimisation, et se
déclarent avoir été victimes de violence au
sein d'un établissement scolaire: 46,1% au
cycle primaire, 44,6% au cycle moyen et
43,3% au secondaire.
> Les victimes de coups sont occasionnées
au cycle primaire par les élèves d'autres
classes (les plus âgés certainement) et
par l'enseignant comme tendent à le souligner
les données statistiques analysées. Aux
cycles moyen et se-condaire, les coups proviennent
essentiellement de la part de l'enseignant.
Au cycle se-condaire, l'enseignant
est le principal auteur des faits d'insultes,
humiliations, paroles dévalorisantes tel
qu'autodéclaré par les lycéens, bien sûr.
> Les collégiens de sexe masculin, probablement
en provenance de milieux défavorisés,
sembleraient les plus fragilisés par ce
processus insidieux de marginalisation et
d'exclusion du champ scolaire. Le concept
d' "élèves en risque de rupture ou déscolarisation
et d'exclusion " pourrait se substituer
à celui emprunté à l'épidémiologie
médicale de populations à risque ou de
populations vulnérables.
> Un tableau comparatif aux trois
niveaux scolaires, des différents faits de violence
faisant l'objet de signalements auprès
des Directions de l'éducation a été établi au
cours de cette étude.
Il montre notamment pour la wilaya de
Mostaganem un nombre de signalements
plus important que celui de la wilaya de
Tamanrasset.
Par ailleurs, l'on constate que le nombre
le plus élevé de faits de violence du genre
insultes, menaces agressions physiques, de
vols a bien lieu au palier moyen (entendu
les CEM).
Synthèse: Y. C.
Abderrahmane Didi, psychologue-thérapeute
«Les enfants sont à l’image
de la société»
Algérie News : La violence en milieu
scolaire prend des proportions alarmantes.
Quelles en sont les raisons ?
Dr Abderrahmane Didi : La violence
contre l’enfant en milieu scolaire
est due à différents facteurs ainsi
qu’à différentes raisons d’ordre social.
Ce phénomène prend de l’ampleur ; il
faut dire que ce sont les parents qui en
sont les premiers responsables. Ces
derniers ont un rôle très important à
jouer. Lorsque l’enfant manque de
l’affection des parents et que la
famille connaît des problèmes tels
que ceux inhérents au divorce, au
logement, et au manque de dialogue,
cela crée une situation insupportable
et provoque un stress chez l’enfant.
Celui-ci peut être objet et source de
violence à la fois. Autre raison, le
milieu social est aussi responsable des
violences subies par l’enfant. Lorsqu’il
y a manque de loisirs,absence de possibilités
de faire du sport ou de
s’adonner à la musique ou au dessin,
par exemple, l’enfant n’a plus où
dépenser son énergie de manière
positive. Celui qui pratique un sport
est souvent plus stable et plus enclin à
l’éducation et à vivre en société,
comme on dit.
L’éducation morale et civique joue
également un rôle important.
Malheureusement, les parents semblent
ne pas donner assez d’importance
à cet aspect de l’éducation.
Y a-t-il des catégories qui sont plus
touchées que d’autres par la violence
en milieu scolaire ?
Les trois paliers sont touchés par
ce phénomène. Il est malheureux de
voir que dans le primaire, de jeunes
élèves consomment de la drogue,
usent de violences envers leurs camarades
de classe et ne respectent pas
leurs enseignants.
Que faire pour lutter contre la violence
en milieu scolaire ?
La création de centres de loisirs et
de divertissements me paraît indiquée.
L’idée est qu’il faut aider les
enfants à trouver un espace pour
«souffler», s’extérioriser et canaliser
leur énergie par des procédés créatifs.
Les parents doivent aussi inculquer
à leurs enfants une éducation
qui leur permet de se préparer à la
vie et d’être de bons citoyens. Un
milieu familial marqué par des disputes
conjugales n’est pas non plus
favorable à l’épanouissement de l’enfant.
En outre, il faut protéger l’enfant
contre l’usage abusif d’outils
comme le téléphone portable,
l’Internet, les jeux électroniques violents.
Propos recueillis par Rona
Merdaci
M. Meziane
Meriane
Coordinateur du Syndicat
national autonome des
professeurs
d’enseignement secondaire
et technique (Snapest)
La violence a pris de l’ampleur
est c’est dû à la mal-vie ainsi
qu’aux conditions familiales et
sociales. Les adolescents
peuvent exprimer leur
mélancolie par la violence
verbale ou physique.
L’élaboration d’un décret pour
la prévention de la violence en
milieu scolaire est une bonne
chose, mais ce n’est pas avec ce
décret qu’on va arrêter ou
diminuer ce fléau. C’est surtout
à travers la sensibilisation des
enfants et la création de cellules
d’écoute et de relais de
communication. Il faut que les
parents s’impliquent à trouver
des solutions qui seront
appliquées dans le milieu
scolaire. Mettre à la disposition
des élèves des psychologues,
des thérapeutes et des
pédagogues.
M. Nouar Larbi
Coordinateur du Conseil
national autonome des
professeurs et enseignants
du secondaire et technique
(Cnapest)
Ces derniers temps, on
remarque que ce sont plutôt
les enseignants qui sont
victimes de violence, pas leurs
élèves. De plus l’administration
ne fait rien pour arrêter ou
atténuer ce fléau.
Normalement, les enseignants
doivent travailler en toute
sécurité. Il faut installer des
psychologues pour écouter les
élèves et faire également des
formations périodiques aux
enseignants pour les informer
sur les différentes solutions et
avoir une connaissance sur le
comportement à entreprendre
envers ces élèves violents. A
travers ces formations,
l’enseignant aura un rôle
d’éducateur et de psychologu
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