Par Kamel Amghar
La violence, dans ses formes les plus ignominieuses, s’est largement banalisée. Elle fait partie de notre quotidien. On s’y est
fatalement familiarisé et personne n’y trouve rien à redire. A la maison, sur les bancs de l’école, dans la rue ou dans les transports en commun, la brutalité est monnaie courante. En ville ou à la campagne, les bagarres, les agressions, les vols et les insultes se
généralisent. La police, la Gendarmerie nationale et la justice enregistrent, chaque jour, de nombreuses plaintes qui viennent s’ajouter aux piles de dossiers déjà en instruction. Le phénomène prend une ampleur dramatique. Dimanche dernier, le village d’Aït Smaïl, dans la wilaya de Béjaïa, a été le théâtre d’un crime effroyable où une brillante collégienne de 15 ans a été sauvagement poignardée. Sonia, c’est son nom, a été fauchée à la fleur de l’âge par un monstrueux cousin de trois ans son aîné. L’assassin, après des avances infructueuses faite à sa victime, a décidé de la supprimer au grand jour à sa sortie du CEM de cette paisible localité montagneuse. Sans crier gare, le meurtrier lui assène les trois coups de couteau qui ont provoqué son décès au cours de son évacuation vers l’hôpital. Les citoyens de toutes les localités limitrophes sont en émoi. Quelques semaines auparavant, dans cette même région de Taskriout, un parent, non satisfait des résultats scolaires de sa fillette, l’avait sévèrement punie. Couverte de bleus partout, le petit ange avait trouvé refuge, en pleine nuit et sous une pluie battante, des kilomètres plus loin, au siège de la gendarmerie. Il lui a fallu des jours entiers de convalescence avant de reprendre le chemin de l’école. Son tortionnaire de père a été simplement verbalisé. Sans plus. Il y a de cela quelques mois, une jeune femme de 25 printemps a été poignardée à mort dans une gare routière grouillante de monde. Une esthéticienne qui avait, comme vous et moi, ses rêves et ses espérances dans ce bas monde. Elle a été assassinée froidement pour trois fois rien. Ayant repoussé poliment «un plan» qui lui avait été fait par un prétendant à sa main, Hariza a été abattue comme un gibier au beau milieu de la ville d’Amizour à Béjaïa. Des horreurs comme celles-là, il y en a à la pelle. Nul n’est aujourd’hui à l’abri d’une triste fin comme celles qu’on vient d’évoquer. On peut se faire tuer pour un téléphone portable, pour un billet de banque ou pour un simple faux geste. Même la petite famille n’est plus ce cocon rassurant d’autrefois. L’intervention de l’assistance sociale reste timide par rapport à l’ampleur du fléau. Ce n’est pas une question de législation, puisque aucune loi n’autorise ces misères ordinaires et ces crimes abominables. Il s’agit foncièrement d’un problème de culture et de société. Que cela soit au sein des foyers, dans le milieu professionnel ou tout simplement dans la rue, les femmes, surtout, sont exposées à des sévices multiples et dégradants. Les chiffres rendus publics ces dernières années par les autorités compétentes donnent froid dans le dos. Plus de 8 300 femmes sont violentées annuellement, soit une moyenne «officielle» de 23 femmes agressées quotidiennement en Algérie. Et ce n’est en réalité que la partie apparente de l’iceberg. Par pudeur ou craignant des actes de représailles, les femmes ne portent en effet que très rarement plainte contre leurs assaillants. Il est vrai que, sur le plan strictement législatif, la condition féminine a beaucoup évolué en Algérie -même s’il reste encore du chemin à faire- mais la caricature réductrice que le commun des hommes se fait de la femme est encore tenace. Les femmes sont de plus en plus nombreuses dans l’espace public. On assiste à une féminisation prononcée de plusieurs secteurs d’activité (la santé, l’éducation, l’université…). Mais les vieilles idées ont la peau dure. C’est à ce niveau qu’il va falloir agir pour changer les mentalités à travers l’éducation et la culture. La famille doit absolument assumer toutes ses responsabilités à ce sujet. Les pouvoirs publics portent aussi la charge d’agir à ce niveau pour lutter contre les racines de cette violence. L’espace privé ne doit en aucun cas servir de zone de non-droit. Un homme qui torture sa fillette doit être dorénavant puni. Il ne suffit plus d’avoir des enfants, il faut assumer les responsabilités qui vont avec. En effet, la démission des parents trouve, en partie, sa justification dans la mollesse de
l’administration publique à leur égard.
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