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  Violence et harcèlement à l’université :
Violence et harcèlement à l'université

 

Violence et harcèlement à l’université

 

Nous voilà en pleine période d’examens de fin d’année, des centaines de milliers d’étudiants et d’étudiantes sont appelés à mettre à l’épreuve ce qu’ils ont appris durant les mois passés. Les épreuves leur sont soumises par les milliers d’enseignants et d’enseignantes qu’ils ont côtoyés toute l’année dans un climat où s’entremêlaient le désir d’apprendre, le souhait de réussir, la frustration, souvent la marginalisation et la précarité.



Dans cette ambiance particulière, je n’ai pu résister à la tentation de commenter un fait qui ne pouvait passer inaperçu à mes yeux et à ceux de nombreux collègues universitaires. L’évènement est de taille en effet et concerne ce que la presse nationale a rapporté et continue de rapporter autour des résultats d’une étude effectuée pour le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, sur le problème, ô combien sensible, de l’éthique et la déontologie à l’université et en particulier la violence et le harcèlement. Un tabou étouffant a sauté, à notre grand soulagement et on ne peut que s’en réjouir pour avoir été trop longtemps témoins impuissants ou victimes résignées de violences multiformes. Hélas les résultats rapportés par la presse posent plus de problèmes qu’ils n’en résolvent.

Le Problème des résultats chiffrés

Au préalable quelques remarques : Premièrement, la violence à l’université apparaît dans la seule optique univoque enseignan-étudiant. Il était pourtant mentionné la répartition diversifiée de l’échantillon entre enseignants, étudiants, administratifs et personnel technique. Deuxièmement, les chiffres avancés posent problème, comme on le verra plus loin. La troisième remarque est relative à l’effet que tout cela a eu sur la communauté universitaire, principalement les enseignants. Commençons par elle. Un titre aussi sensible que sensationnel : « Harcèlement sexuel à l’université : 27% des étudiantes sont victimes », à la une des journaux de grands tirages laisse deviner aisément l’inquiétude du lectorat, et par écho, celle des familles et la société en général. Il faut rappeler que l’étude intervient dans une atmosphère particulièrement lourde suite à des informations sur des évènements tragiques, horrifiants, comme l’assassinat d’un étudiant dans une cité universitaire, celui d’un enseignant par son étudiant ou le scandale du harcèlement sexuel avéré d’un enseignant sur son étudiante. Alors qu’il vient en troisième position au classement, selon la fréquence, le harcèlement sexuel, parce qu’il est le thème le plus accrocheur, est mis en grosse manchette et à la une.

Il devient, de ce fait, l’arbre qui cache la forêt. Quant aux chiffres eux-mêmes, il y a un problème incompréhensible d’incohérence. La somme des différentes proportions, exprimant la violence, dépasse l’unité (138,8% au lieu de 100%). Même s’il n’y avait pas le complément de 66% qui se disent respectés (une autre contradiction encore) la confusion et l’incompréhension restent entières. Même si on suppose que le maximum des maltraités est de 44,6% et que les autres pourcentages y sont inclus, ajouté à celui des respectés, il donne 110,6% ? Et admettons qu’il y ait erreur et supposons que c’est 34% pour faire l’unité avec ceux qui se disent respectés. Sur un total d’environ 1300 000 ce seraient 442 000 étudiants qui seraient maltraités et, pour la plupart, martyrisés (subissant plusieurs violences à la fois) par une population d’environ 30 000 enseignants/enseignantes.

Le cas particulier du harcèlement sexuel

Les questions qui viennent immédiatement à l’esprit, en lisant le pourcentage d’étudiants victimes de harcèlement sexuel, est de savoir s’il s’agit seulement de victimes féminines, s’il y a eu distinction rigoureuse entre le harcèlement sexuel et le harcèlement moral ou s’il sont assimilables,... En plus de cet écueil d’ordre qualitatif, le chiffre pose problème aussi. Considéré isolément, le harcèlement des seules étudiantes, par les enseignants hommes, serait d’une ampleur et d’une visibilité inhabituelle. La proportion du sexe féminin parmi la population étudiante étant d’environ 56%, ce serait près de 200 000 étudiantes qui seraient harcelées, à raison de plus d’une dizaine, en moyenne, par enseignant. A supposer évidemment que tous les enseignants hommes sont coupables. Le cas particulier du harcèlement sexuel est le plus délicat à traiter. Parce que bien réel, le harcèlement, en général, et sexuel en particulier, est extrêmement difficile à traiter. Son ampleur est encore plus difficile à mesurer.

Un problème d’interprétation

De tous les tabous, dans toutes les sociétés humaines, il est le plus secrètement gardé. Il est le plus profondément enfoui à cause de la honte et la peur partagées entre l’auteur, à l’esprit retors, et la victime souvent résignée. Sujet d’allégories et d’affabulations, il peut être exagéré mais sous-estimé aussi et pour les mêmes raisons. La forte suspicion qui frappe, de façon particulière, tout lieu de mixité et plus particulièrement lorsqu’il est hiérarchisé, écoles, collèges, lycées, universités, lieu de travail... peut s’aggraver dans des circonstances particulièrement bigotes comme celles d’aujourd’hui, nourrie de réels scandales épisodiques et des rapports de presse à effet de loupe. Et l’atmosphère générale en devient d’autant alourdie. Pour s’en prémunir, il y a des collègues, hommes et femmes, qui sacrifient le principe pédagogique fondamentale de la communication et l’interactivité enseignant-enseigné qui devrait être personnalisée au contraire, dans la mesure du possible. La communication est découragée lorsque l’étudiant est de sexe opposé, ce qui est dommageable, et en plus, sans résultat garanti pour la moralité. Pire, l’enseignant ou l’enseignante est soupçonné alors de tartuferie. Après la suppression de la mixité dans les cités universitaires, les années 1970- 80, je me rappelle du bruissement d’un débat en sourdine sur l’éventualité d’enseignements sexuellement séparés mais la discussion a coupé court faute de réalisme. Plus récemment, un article intitulé « Elle se clochardise et devient le théâtre d’affrontements :

L’université gagnée par la violence » (El Watan du 15 avril 2009) a essayé d’apporter un peu plus d’éclairage au débat en l’élargissant aux autres formes d’atteinte morale et/ou physique des personnes à l’aide d’une chronique qui montre bien que l’auteur et la victime n’étaient pas toujours les mêmes en faisant intervenir un commentateur sous l’étiquette de politologue. En fait, les choses se sont compliquées avec le glissement du domaine de l’éthique et la déontologie à celui de la politique. Le commentateur retrace très succinctement l’irruption et le développement de la violence depuis le début, en retenant deux moments forts : « L’arabisation politique », dit-il, qui a poussé à la sortie des professeurs francophones, a créé un large déficit en encadrement (...) A cela s’ajoute la massification de l’enseignement qui a entraîné l’effondrement du niveau universitaire. Il ajoute plus loin : « La raison et l’universalisme occupe une place marginale dans l’enseignement. Cela a des affinités électives avec l’Islam politique radical, parce que l’université n’échappe pas aux logiques qui traversent la société. Ce n’est pas un hasard si la sahoua islamiya a investi l’université dés la fin des années 1970 ». Le problème est que les comportements délinquants ne relèvent pas du niveau scientifique de l’individu mais de son éducation et son développement psychique qui dépendent de ses caractéristiques individuelles spécifiques, de ses caractéristiques d’appartenance socioculturelle et des caractéristiques cruciales de la société et de ses institutions de socialisation : famille, école, société, média, modèles culturels ambiants...

La violence à l’université, qui par ailleurs existe aussi dans d’autres sociétés, n’ayant ni la même histoire ni la même culture que la nôtre, ne peut être analysée non plus du point de vue politique seulement. L’analyse, à ce niveau, met en avant les mouvements idéologiques et politiques et leurs adeptes fanatisés plus que les hommes en tant qu’individus répondant de leurs actes déviants par rapport à un code déontologique. La violence, dans ce cas, est générée par une idéologie radicale, qu’elle soit religieuse ou matérialiste et s’estompe avec sa défaite. La violence individuelle, ou de groupe d’intérêt, en tant que manquement à l’éthique, n’est pas déterminée par le fanatisme idéologique ou religieux, elle est bien plus subjective aux motifs d’intérêts matériels ou immatériels immédiats. Celle-ci est antérieure à celle-là, elle lui survie aussi. Que la violence armée des années 1990 ait favorisé et amplifié le relâchement éthique et déontologique dans toutes les institutions et à l’université notamment, c’est indéniable. Mais la délinquance professionnelle ou estudiantine, sous forme de violence, harcèlement ou autre comportement indigne, existe toujours même après la sécurisation de l’université comme elle a existé avant ces événements. Les assassinats d’universitaires, étudiants, enseignants ou responsables administratifs de ces années-là, bien plus horribles, ne relèvent cependant pas du même registre que l’éthique et la déontologie dont il est question ici. La dégradation du niveau d’enseignement, bien réelle aussi et dans tous les domaines, ne peut pas non plus expliquer ce qui relève du psychologique et du comportemental. Il n’y a pas de lien causal entre la performance d’un professeur sociologue, économiste, chimiste ou physicien et son comportement déontologique.

Par ailleurs, on peut comprendre que l’Islam politique radical, comme le courant des des néo-conservateurs aux Etats-Unis, s’oppose, pour des raisons éthico-idéologiques et doctrinales, à l’enseignement du darwinisme, des théories matérialistes en sciences sociales et humaines, de la recherche sur le clonage ou l’insémination artificielle. Mais l’un et l’autre ne se sont jamais opposés à l’enseignement et la recherche en physique ou en technologies, bien au contraire et ce, pour les mêmes raisons belliqueuses qu’elles renferment. Et c’est bien au nom de l’ethique que l’un et l’autre se disent œuvrer en s’opposant à la recherche progressiste. Pour l’arabisation de même, il faut distinguer le quantitatif du qualitatif. Démographiquement parlant, l’effet du départ d’enseignants francophones, les années 1980-90 a occasionné un manque à gagner quantitatif et qualitatif certain. Il est cependant négligeable par rapport à celui de la progression vertigineuse des effectifs estudiantins qu’aucun pays au monde, quelque soit son niveau de développement et toute proportion gardée, n’aurait pu prendre en charge dans des conditions normales. Plus que le départ d’enseignants francophones, ce sont les recrutements de nouveaux « enseignants » qui ont fait défaut en nombre et en qualité. Sans formation professionnelle ni expérience, des étudiants qui parfois n’ont pas encore terminé leur cursus de graduation ou de première post-graduation sont recrutés à la hâte pour parer au plus pressé, et « professer » devant des amphithéâtres où s’entassent des centaines d’étudiants démotivés et parfois indisciplinés, Le problème est toutefois beaucoup plus grave en sciences sociales et humaines.

Considérées comme disciplines faciles à enseigner (le terme de sciences est rarement utilisé sinon par les intéressés eux-mêmes ou en opposition aux sciences exactes), elles ont été sacrifiées à toutes les expériences. L’épistémologie est oubliée et j’en passe de la littérature à l’une ou l’autre discipline allègrement sans aucune distinction théorique ou pratique. Or, elles concernent l’écrasante majorité des effectifs (autour de 80%). Pour cela aussi, elles sont particulièrement sollicitées, enjeux de luttes partisanes et idéologiques intra et extra université. Le problème de l’université avec la politique d’arabisation, telle qu’elle a été menée, n’est pas dans le principe qui, comme l’Islam et l’amazighité, est une condition de recouvrement de notre personnalité longtemps interdite. Il est dans la pratique d’exclusion des langues étrangères, à commencer par le butin de guerre de Kateb Yacine, et la volonté de les remplacer coûte que coûte et tout de suite.

Cette pratique a lourdement hypothéqué un développement progressif et ouvert de la belle langue d’Ibn Rochd et Sibawayh, Goethe, le plus grand homme de lettres allemand, selon Eliot la non moins grande femme de lettres anglaise, nous a légué cette règle d’or en la matière : « Wehr fremde sprache nicht kennt, weiss nichts von seiner eigenen ». (Celui qui ne connaît pas de langue étrangère, ne sait rien à sa propre langue). Et il savait de quoi il parlait, lui qui avait appris, en plus de langues européennes diverses, le farissi et l’arabe pour découvrir la civilisation musulmane, à travers Hafez Chirazi qu’il aimait tant, et d’autres, et écrire de si belles choses sur la civilisation musulmane. A l’université en particulier, il ne doit pas y avoir de problème de langue si ce n’est le handicap de ne pas en connaître plusieurs. Quant à la confusion entre arabisation et islamisme radical, faut-il rappeler que les premiers islamistes universitaires algériens connus et les plus influents ont été francophones, sortis de disciplines scientifiques dites exactes, non concernées par l’arabisation : mathématiques, médecine, physique...

Contribution à la réflexion

Au niveau sociétal, il faudra faire une macro - analyse rétrospective de l’évolution de la violence dans la société algérienne en distinguant entre les facteurs conjoncturels déstructurants-restructurants et les facteurs historiques à tendance lourde et récurrents. Parmi les premiers, on peut citer la démographie. Rappelons seulement que le nombre d’étudiants algériens à l’indépendance ne dépassait pas le millier dont une bonne partie avait fini d’ailleurs par quitter le pays. Quarante six ans plus tard, en moins d’une génération donc puisque parmi les étudiants de l’époque, certains sont encore en exercice aujourd’hui, le nombre a atteint le chiffre vertigineux de plus d’un million d’étudiants avec un taux d’accroissement de 130 000% sur la période. Il faut se rappeler aussi la crise profonde du milieu des années 1980 qui a déstabilisé la société algérienne dans son ensemble, toutes institutions confondues, et particulièrement l’université qui compte parmi les plus vulnérables. Enorme décalage entre la progression vertigineuse des effectifs estudiantins et enseignants dans une moindre mesure, et l’évolution inadéquate des budgets pour leur prise en charge ; infrastructures, œuvres sociales, salaires, recrutements (selon un ratio enseignant/étudiants pédagogiquement acceptable).

Facteur histoire : Le recours à l’histoire pour trouver des explications à des situations actuelles est très fréquent en sciences sociales et humaines. Des comportements, valeurs et attitudes peuvent, en effet, apparaître à un moment de la vie d’un individu ou d’un groupe humain et se perpétuer pendant longtemps, par transmission éducative, consciente et/ou subconsciente, entre générations. C’est le cas des comportements violents aussi qui peuvent être valorisés à des moments particuliers de l’histoire et sous certaines conditions. Les valeurs ainsi adoptées deviennent alors cruciales. Il faudra plusieurs générations pour qu’elles s’estompent dans le mouvement culturel changeant. On peut s’exercer à une telle posture en se référant à Frantz Fanon, à la manière de Sadek Hadjeres dans son dernier papier au Quotidien d’Oran, sur ce grand psychiatre et militant. Mais l’autre partie historique explicative sur laquelle il faut insister est celle de notre histoire récente, particulièrement depuis les premières années 1980, avec les évènements précurseurs de violence à l’université pour des motifs idéologico-politiques, suivis d’évènements nationaux aggravants comme le 5 octobre 1988 et surtout la violence armée des années 1990 qui a fait des dizaines de milliers de victimes.

La crise sociétale profonde et l’irruption de la violence généralisée ont complètement déstabilisé la société algérienne durant ces deux décennies. La perte de repères et la violence ont opéré une rupture avec la courte période euphorique de communion, d’abnégation au travail, souvent bénévole, et de grande rigueur morale, qui a suivi l’accès du pays à son indépendance. Après les certitudes, c’est le doute qui s’instaure. Au Stakhanovisme et au culte généreux de l’exemplarité des premières années socialistes, se sont substituées graduellement de nouvelles valeurs faites d’un clair-obscur de crise morale, de loi du marché, d’avidité au gain voire de concupiscence dépressive. La décennie sanglante a aggravé la tendance par l’affaiblissement de l’Etat, de son autorité, sa capacité à faire respecter la loi et les institutions en général. Les efforts de l’Etat se sont concentrés sur le retour à la paix et la sécurisation des institutions, comme l’université. Le sécuritaire devient objectivement prioritaire et légalement consacré par la loi d’urgence de 1992. La déliquescence de l’autorité légale et morale qui a gagné toute la société ne pouvait épargner l’université, bien au contraire. Le retour au calme nous permet aujourd’hui d’en débattre, c’est un premier pas. La question qui inquiète alors est : est-ce que le phénomène est en train d’amplifier ou au contraire ? L’espoir d’un redressement est permis, mais un espoir réaliste c’est-à-dire basé sur une connaissance réelle du phénomène dans sa complexité. Pour cela, sa prise en charge objective au moyen des approches multidisciplinaires où sociologues, juristes, psychologues,,, sont en mesure d’apporter une contribution d’importance en la matière. A condition, bien entendu, que leurs travaux soient menés avec l’objectivité exigée par la démarche scientifique.

* Donnés par l’APS, les chiffres sont repris par toute la presse nationale

L’auteur est enseignant - chercheur- Faculté des sciences sociales, Oran



Par Mohamed Kouidri
http://www.elwatan.com/Violence-et-harcelement-a-l

 
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