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  Violence scolaire
Violence scolaire : "Je suis pessimiste" nous dit Eric Debarbieux 

La police au collège ? La mise en fiche des enfants de trois ans trop remuants ? C'est ce que nous proposent certains responsables politiques pour faire face à la violence scolaire. Le Café a demandé à Eric Debarbieux, spécialiste internationalement reconnu de cette question, où en était la recherche sur ce sujet. Des solutions existent mais encore faudrait-il une volonté politique.

Photo Café pédagogique
FJ- Quotidiennement les médias français évoquent des faits divers violents dans les établissements scolaires. Tous sont fortement ressentis par les enseignants. Et on a ainsi l'impression d'un haut niveau de violence. Cela vous semble-t-il refléter la réalité de ce qu'est la violence scolaire et de son niveau en France ?

ED- Je crois que par rapport aux mots "violence scolaire" il y a deux écueils à éviter. D'une part il ne faut pas la voir à travers les faits divers spectaculaires du type de cette enseignante poignardée à Etampes ou de Colombine. A chaque fois qu'un fait divers de ce type se produit ça génère un fort intérêt médiatique qui fait croire à la banalisation des violences les plus extrêmes. Or ce n'est pas le cas. Ce sont des faits rares en France et ailleurs. Aux Etats-Unis par exemple, sait-on que le nombre de morts dans les établissements scolaires ne fait que baisser depuis 1993 ? Je ne suis pas contre la dramatisation : elle rappelle les interdits. Par contre, par respect déjà pour les victimes, je suis contre la banalisation.

Il y a un deuxième piège : ce serait de négliger la violence scolaire dans une espèce de bonne conscience. Toutes les enquêtes montrent que la violence à l'école est une violence de répétition, de rackett, de bagarres, de micro-violences. Ce que les anglo-saxons appellent le "bullying", le harcèlement entre élèves. Or cette forme de violence est très difficile à vivre. Toutes les enquêtes montrent qu'un enfant harcelé de cette façon a 4 fois plus de risques de se suicider qu'un autre. Il y a bien un lien entre dépression, décrochage et violence à l'école.

Enfin, en ce qui concerne la montée de la violence, il faut souligner plutôt la stabilité : depuis 1993 en France on n'observe pas une progression globale. C'est ce que nous disent les enquêtes de victimation. La violence est ciblée sur quelques établissements en lien avec l'exclusion sociale. 4 à 10% des élèves, selon le établissements, sont victimes de la violence scolaire. La dureté de celle-ci varie selon les établissements.


FJ- Les enseignants expérimentés ont le souvenir des violences passées. Pour autant n'y a-t-il pas de nouvelles formes de violence scolaire et une tendance à son augmentation ?

La violence scolaire existait bien sur dans le passé. Il y a d'ailleurs des formes de traditionnelles de socialisation qui s'y apparentent : les bagarres de cours par exemple. En même temps, il y a depuis la fin des années 1990, une évolution de la délinquance qui va vers la violence collective. Les travaux d'Hugues Lagrange l'ont bien montré.

Au début des années 1990, le racket était individuel. Aujourd'hui il est de plus en plus souvent effectué par des groupes d'élèves. Ca a plusieurs conséquences. D'une part ça fait plus mal car en groupe on va toujours plus loin. C'est ce qu'on voit par exemple dans les "jeux" collectifs comme "le petit pont massacreur" ou "le jeu du bonnet". Dans ces affaires, c'est l'élève isolé qui est la victime désignée.

L'autre évolution sur laquelle il faut insister c'est la montée de la violence anti-scolaire. C'est une forme de délinquance d'exclusion très préoccupante. Quand on a des agressions d'enseignants on est souvent dans cette forme de violence.

Ces deux évolutions renforcent un des mécanismes essentiels des agressions qui est que la plupart du temps on s'attaque à des personnes isolées, élèves ou profs. Les enseignants les plus visés sont ceux qui ne sont pas aidés par leurs collègues ou l'institution. Ca interroge le mode de formation des enseignants, par exemple dans les établissements où une forte proportion de professeurs change tous les ans. Du coup on voit qu'un des principaux facteurs de risque c'est l'absence d'équipe éducative stable. Le mouvement national, qui éloigne les profs de chez eux et renforce leur isolement, n'aide pas. Pourtant face à un refus global de ce qu'on représente comme enseignant la seule réponse ne peut être que celle d'une équipe.


FJ- Une des surprises de votre dernier livre c'est son regard comparatif. Ainsi le fait que les établissements des favelas brésiliennes soient si calmes. Il semble qu'il y ait donc un lien entre violence scolaire et climat scolaire. Peut-on donner des exemples de pratiques pédagogiques efficaces pour diminuer les violences scolaires ? D'ailleurs s'agit-il de pratiques ou de postures pédagogiques ?

ED- Tout le monde est d'accord pour dire que la violence scolaire a plusieurs causes. La situation économique, familiale ont leur part mais il y a aussi des facteurs liés à l'institution scolaire. En particulier, il y a une forte corrélation entre la qualité du climat scolaire et la victimisation. Le climat scolaire c'est la qualité des relations entre adultes et élèves et entre adultes; la capacité à avoir un dialogue et non un affrontement avec les élèves. C'est aussi la clarté des règles collectives. Le climat peut se dégrader par exemple quand les punitions diffèrent d'un enseignant à l'autre. Les sentiments d'appartenance collective et de justice sont deux composantes essentielles de ce climat.

Or il faut bien reconnaître qu'en France, là-dessus, on est très hypocrite. On ne forme pas les enseignants à la gestion des punitions et on se retranche derrière les CPE. On s'intéresse plus à la transmission des savoirs et on a tendance à oublier importance de l'identification aux adultes. Du coup, face aux problèmes, on est souvent "réactif" là où il faudrait être "proactif" comme on dit au Québec.

Maintenant tout ne s'explique pas par le climat scolaire. Les pays qui s'en sortent le mieux face à la violence scolaire sont aussi ceux où la place des parents à l'Ecole est la plus forte. Par exemple, il est frappant de voir que dans les pires endroits du Brésil, par exemple les favelas de Rio, alors que la violence domine le quartier, elle n'entrepas à l'école. L'école est protégée par la communauté. En France on continue à voir les familles comme des ennemies de l'Ecole et c'est dramatique. Il est impératif de travailler ensemble face à la violence car on est très démunis face à elle. Il ne faut pas que l'école se prive de la protection des parents.

Revenons à l'attitude pédagogique. Il y a des protections routinières qui existent grâce au lien social. Dans ce cas la question c'est d'aider ces protections routinières. I y a aussi des stratégies plus conscientes. Il y a des programmes efficaces de lutte contre la violence qui travaillent le changement de comportement. Pas dans une optique behaviouriste ou "médicale" (la Ritaline) : ça ne fonctionne pas. Ce qui fonctionne par contre c'est la réflexion avec les élèves. Par exemple, aux Etats-Unis, il y a un programme efficace contre la colère. On s'est rendu compte que dans 80% des cas, les élèves violents ont des problèmes de conceptualisation. Le programme vise à les aider à comprendre leurs actes pour changer leur comportement. Par exemple on projette un film sur des élèves en colère et on les invite à juger ce comportement. Puis on débat sur les causes de la colère et sur les façons de l'éviter. Enfin les élèves tournent un film sur les solutions qu'ils ont trouvé face à la colère. Et bien ce programme a un impact réel. Mais pour que ce genre de programme arrive en France il faudrait accepter que traiter le problème de la violence scolaire n'est pas une tâche secondaire.


FJ- Alors comment expliquer que ces "bonnes pratiques" ne se diffusent pas en France ?

ED- Justement parce qu'en France on considère que l'Ecole n'a pas à faire cela. On n'affronte pas le problème. On a d'ailleurs tendance à tout mélanger. Par exemple les troubles de comportement et la violence scolaire. C'est la même chose pour la victime mais ce n'est pas du tout le même fonctionnement. De ce coté là on assiste depuis quelques mois à des dérapages préoccupants...

5- Dans un récent ouvrage sur la vie d'un L.P. marseillais, Christophe Andréo montre comment des élèves de milieu populaire peuvent instrumentaliser la violence pour changer le fonctionnement de l'institution scolaire. Peut-on aller jusqu'à dire que la violence scolaire participe du conflit plus général des classes ?

Je fais partie des sociologues qui pensent que les classes existent. Et je crois qu'une des violences les plus préoccupantes ce sont les violences d'origine sociale. A mon avis la violence scolaire participe du conflit des classes. Mais ce n'est évidemment pas une excuse. Cette violence est tout sauf révolutionnaire. Au contraire elle renforce la ghettoïsation et encourage la ségrégation. On le voit bien dans le phénomène des classes ghettos pour étrangers par exemple.


FJ- Un dossier réalisé il y a quelques années par le Café avait montré l'importance (et la rareté) des liens entre l'Ecole et le tissu associatif et institutionnel local pour lutter contre la violence scolaire. Actuellement le gouvernement prépare la mise en place des PPRE d'une part et des PRE (politique de la Ville) d'autre part. On voit aussi (cf le rapport de l'Inserm ou le rapport Bénisti) que la majorité est sensible à une approche médicale ou psychologisante du phénomène. La violence scolaire est-elle une affaire scolaire, sociale ou personnelle ?

ED- En ce moment on voit bien comment on cherche à classer les jeunes et à les mettre dans des ghettos par exemple par une approche thérapeutique. Or ce qui marche ce n'est pas la rééducation behaviouriste mais au contraire une démarche qui fait avancer l'intelligence et le comportement ensemble. Le récent rapport de l'Inserm est une illustration de ces impasses vers lesquelles on dirige l'opinion publique.

Il y aussi ce trait très français de la condamnation de la pédagogie qui est dénoncée comme responsable de la violence. C'est quelque chose qui semble incroyable à l'étranger. Si on a pas besoin de pédagogues alors on a besoin de quoi ? De policiers ? Derrière cette approche ringarde on retrouve l'action de réseaux d'influence qui ont des relais malheureusement au plus haut niveau de l'Etat.


FJ- Il y a quelques années,un ministre avait lancé une vaste campagne sur le thème du respect. Cela peut-il être efficace ?

ED- Les enquêtes montrent que pour les élèves l'irrespect est la principale forme de violence. 42% des élèves s'en plaignent. Ceci dit je suis sceptique sur ces campagnes nationales. Je crois beaucoup plus à l'accompagnement local. Malheureusement chez nous l'idée même de programme nous est étrangère. On préfère des plans nationaux. C'est croire que l'établissement n'a ni responsabilité ni moyens d'action. Au contraire, il faudrait agir localement. Et là-dessus, je suis pessimiste.

Eric Debarbieux

Eric Debarbieux vient de publier "Violence à l'école : un défi mondial ?", Paris, Armand Colin,2006, 316 pages.

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